Que se cache-t-il de
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La publication récente d’un rapport de la Cour des comptes sur le coût annuel de la fraude dans les transports en commun en Ile-de-France (pour rappel : environ 1 million d’euros par jour [1]), a été pour moi l’occasion de lire sur la toile de nombreuses réactions plus ou moins virulentes sur le sujet. En substance, entre « La fraude c’est pas bien, les bons payeurs payent pour les autres », « Les gens fraudent parce que c’est trop cher », « Les transports sont un service public et devraient donc être gratuits » ou encore « Si la RATP proposait un meilleur service, je payerais mes tickets », personne ne semblait réellement d’accord sur l’origine du mal et les solutions à apporter. J’ai alors réalisé qu’au-delà de la question de la fraude, peu de gens connaissaient le coût réel des transports en commun et l’équilibre économique assez complexe qu’ils dissimulent.
Si vous arrêtez une personne au hasard dans les rues de Paris, il y a de grandes chances qu’elle sache vous citer le prix « de base » des transports sur Paris (à part peut-être Nathalie Kosciusko Morizet wink) : ticket T+ à 1,80€ pour les zones 1 à 2, passe Navigo au tarif unique de 70€ pour les zones 1 à 5 depuis septembre 2015. On entend souvent autour de soi les gens se plaindre du tarif élevé des transports en commun en Ile-de-France, mais il faut savoir que ces 1,80€ qui nous font tant soupirer ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Je vais vous faire une révélation : cela ne représente en réalité qu’environ 1/3 du coût réel du billet (tadaaaam !).
Un ticket de bus coûte donc en réalité un peu plus de 5€ et le passe Navigo mensuel un peu plus de 200€…
Lorsqu’on compare les prix des transports à Paris par rapport aux autres capitales européennes, on s’aperçoit rapidement que les prix parisiens (et plus globalement les prix français) sont relativement bas par rapport à nos voisins européens [2], surtout dans le Nord de l’Europe. En témoigne la carte ci-dessous, qui bien qu’un peu datée, montre des différences assez criantes :
Je me rappelle ainsi ma surprise, lors de mon échange Erasmus en Suède face au prix des transports à Stockholm (440 couronnes suédoises le carnet de 10 tickets zones A et B, soit presque 50€ au taux de change de l’époque !). Encore pire à Londres, où malgré l’introduction de la « Oyster card », les tarifs restent très élevés, avec un abonnement mensuel qui va de £93, soit 120€, à £385, soit 490€ selon les zones choisies ! Ne parlons pas du montant des amendes en cas d’infraction ou de fraude, qui sont assez dissuasives (40€ à Berlin, £80 – soit un peu plus de 100€ – à Londres), et les contrôles plus fréquents qu’à Paris.
A contrario, j’étais agréablement surprise lors de mes virées à Lisbonne et Barcelone de découvrir des transports aux tarifs plus que raisonnables. La France se situe donc plutôt dans la moyenne basse en termes de prix des transports, plutôt du côté des pays méditerranéens que des pays du Nord.
Bien sûr, il faut mettre en balance face à ces prix plus ou moins élevés le niveau de vie – plus élevé en Europe du Nord qu’en Europe du Sud – ainsi que la qualité des réseaux, qui est excellente par exemple en Scandinavie (prendre le train de banlieue « S-tog » à Copenhague, sorte d’hybride entre un RER et un Transilien, est un vrai bonheur). Cette qualité de service élevée se répercute donc sur le coût du billet.
Par ailleurs, les subventions publiques sont souvent moins élevées dans les pays nordiques comparé à la France. C’est surtout le cas en Angleterre, où la privatisation des transports a été initiée au milieu des années 80 (coucou Margaret Thatcher !). Les usagers payent ainsi le prix fort, mais qui est en réalité le « vrai prix » des transports. La question se pose alors : en région parisienne, d’où proviennent les financements complémentaires qui couvrent les 2/3 restants du billet ?
Un petit tour sur le site du STIF nous en apprend plus sur le financement des transports franciliens [3], répartis comme suit en 2014 :
Une première source de financement des transports en commun vient des entreprises locales, à travers le VT (Versement Transport). Toute entreprise de plus de 10 salariés verse ainsi des charges patronales destinées au financement des transports publics. Ces recettes sont ensuite reversées aux autorités organisatrices de transport (le STIF en l’occurrence à Paris). Cette taxe représente selon la localisation des entreprises de 1,5% à 2,7% de la masse salariale. Dans le cas du STIF, le versement transport représente donc 3,6 milliards d’euros en 2014, soit 65% de ses recettes budgétaires et un peu moins de 40% du financement total.
Une deuxième partie du financement est apportée pour moitié par la région Ile-de-France, et le reste se répartit entre les départements franciliens. Ces contributions des collectivités locales sont financées principalement par les impôts locaux et la taxe foncière supportée par les ménages et les entreprises. Enfin, l’Etat subventionne également une partie du prix du billet, mais dans une mesure bien moindre que les collectivités locales.
Un rapport de l’OMNIL [4] sur la période 2000-2009 nous indique que la part des recettes provenant des voyageurs ne représente qu’à peine 30% des recettes totales du STIF en 2009 :
Cette même étude nous apprend également que la part de contribution des ménages (soit l’achat de tickets ou d’abonnements) a été globalement constante sur la période 2000 – 2009 :
Fait intéressant à noter : l’Etat se désengage peu à peu du financement des transports en Ile-de-France, laissant plus de responsabilité aux collectivités territoriales, notamment la région. Ce changement a été impulsé par la vague de décentralisation de 2002-2003 et la loi constitutionnelle du 28 mars 2003, adoptée sous le gouvernement Raffarin [5].
Le problème, c’est que les régions et collectivités locales ont héritées de ces responsabilités sans forcément bénéficier des financements équivalents, rendant l’équilibre budgétaire fragile. L’Ile-de-France en particulier doit ainsi faire face à des infrastructures anciennes et vieillissantes, qui sont pourtant très sollicitées, avec par exemple plus de 2 millions de voyageurs quotidiens sur la ligne A du RER. Les travaux de maintenance importants sont ainsi prévus tous les étés jusqu’en 2021, nécessitant l’interruption totale du trafic. Par ailleurs, l’étalement urbain en Ile-de-France implique la prolongation des lignes existantes ou la construction de nouvelles lignes (cf le projet du Grand Paris), parfois pour des coûts faramineux, et participe aussi à l’augmentation des dépenses d’investissement.
Si l’on regarde les dépenses globales dédiées aux transports collectifs franciliens sur la période 2000-2009, les dépenses de fonctionnement ont augmenté de 45%, alors qu’en comparaison les dépenses d’investissement ont augmenté de 119% !
Et si l’on observe l’évolution des dépenses de fonctionnement VS les dépenses d’investissement en euros constants, l’écart est encore plus impressionnant !
Autre illustration de cet équilibre budgétaire incertain : la création du passe Navigo à prix unique, mesure très symbolique introduite au 1er septembre 2015, est à première vue plutôt une bonne nouvelle pour les utilisateurs (bien que ce point soit discutable [6]). Mais d’un point de vue économique, cette mesure a engendré une perte de recettes estimée en 2016 à 485 millions d’euros par le conseil régional [7]. Perte qui devra être compensée en partie par les employeurs à hauteur de 210 millions d’euros via l’augmentation du Versement Transport. Et le reste ? La piste évoquée pour le moment entre Valérie Pécresse, présidente de l’Ile-de-France, et Manuel Valls, premier ministre, serait d’effacer une dette de 300 millions d’euros de la région envers la RATP [8], du moins pour 2016…
J’espère que cet article vous aura donné une vision un peu plus globale de nos transports, et que vous regarderez à l’avenir votre ticket de bus d’un autre œil. wink
[4] http://www.omnil.fr/IMG/pdf/transports_en_commun_en_chiffres_edition_2000-2009.pdf
[5] https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9centralisation_en_France#D.C3.A9centralisation_territoriale
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