Maas : regards crois
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2021
En 2019, le Cerema (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement) a créé l’Observatoire du MaaS qui recense sur une même plateforme tous les acteurs et démarches autour du MaaS ou de systèmes intermodaux (SIM) sur le territoire français. Cette plateforme a pour objectif le partage de connaissance autour du MaaS. Padam Mobility a participé à ces travaux dont la restitution s’est faite à l’occasion de ce webinaire.
Pour poursuivre notre démarche autour des questions de la mobilité servicielle, nous avons tenu à échanger avec un expert du MaaS en France. Laurent Chevereau est directeur d’étude “Mobilité servicielle – MaaS” au Cerema depuis près de 3 ans.
Laurent Chevereau (L.C) : Comme sur beaucoup de thématiques, le Cerema a une vocation de diffusion de la connaissance. C’est pour cela que l’on produit beaucoup de veille, de bonnes pratiques et que l’on a lancé l’observatoire du MaaS, en partenariat avec une grande variété d’acteurs du MaaS. L’idée est de faciliter le partage afin d’éviter que chacun réinvente la roue. La connaissance autour du MaaS doit être un bien commun.
Pour nous, comme pour beaucoup de collectivités, il faut faire du MaaS pour répondre à des objectifs de politiques publiques précis. Concrètement, ce n’est pas forcément évident à mettre en œuvre. Au Cerema, on essaye de pousser le besoin d’évaluation : quelques recherches ont été faites sur l’évaluation des impacts du MaaS et il n’existe pas grand chose, même au niveau international. En Europe, on constate que les impacts ne sont pas forcément positifs. L’exemple du MaaS Whim à Helsinki est assez parlant. D’un côté, il développe l’usage des transports en commun mais de l’autre, la part modale de la marche à pied et du vélo est diminuée au profit des locations de voiture.
L.C : Pour monter un projet MaaS, il faut d’abord prioriser les objectifs que le territoire souhaite adresser. C’est très important, au même titre que le choix de la cible à laquelle on veut s’adresser parce que je ne pense pas qu’on puisse faire un MaaS pour tout le monde et qui réponde à tous les objectifs.
Pour résumer, l’idée est de définir un ou deux objectifs, une cible principale et ensuite le produit : type, ergonomie, politique tarifaire et support.
Aujourd’hui, on voit que les premiers MaaS qui sont arrivés en France ont plutôt été des “MaaS d’opportunité” : c’est-à-dire qu’ils n’étaient pas initiés par la collectivité mais plutôt par un opérateur comme à Montpellier, Mulhouse, Saint-Etienne. Je pense que les collectivités vont petit à petit reprendre la main (comme Grenoble, Marseille, Rouen) et avoir des marchés spécifiques. Cela va leur permettre de mieux maîtriser le MaaS et de ne pas souffrir d’un départ d’un Délégataire de Service Public (DSP) par exemple.
Dans les territoires moins denses, il y a davantage un besoin d’échange et d’acculturation à ce type d’outil, car bien souvent, les collectivités n’ont pas autant de compétences en interne. Les moyens financiers manquent aussi.
L.C : Je crois qu’il y a un vrai défi marketing derrière tout cela. Là où dans les grandes villes, tout le monde connait le nom du réseau, dans les territoires peu denses, les gens ne savent pas forcément qui s’occupe du transport et ne connaissent pas forcément le nom du réseau. Il ne suffit pas de mettre au point un service numérique performant, il faut aussi le faire connaître et le faire utiliser, ce qui n’est pas aisé dans les zones rurales où l’usage du numérique est moins répandu. Sur les SIM régionaux, on voit également que l’usage est assez faible par rapport au coût de mise en œuvre.
L.C : Je pense qu’il faut d’abord dissocier les usagers réguliers des usagers occasionnels. En milieu rural, les solutions alternatives à la voiture (TàD, covoiturage, etc.) vont être difficiles à généraliser pour les trajets du quotidien à court terme. À Saint-Etienne, l’interface de l’application Moovizy est différente selon que l’usager est régulier ou non. La proposition de solutions intermodales peut être un plus pour ces territoires, mais c’est surtout l’aspect multimodal qui est important pour ces territoires. Ces outils peuvent aider à identifier le bon mode au bon moment.
L.C : Jusqu’à aujourd’hui, on n’a pas de MaaS privé comme Whim en France : ce sont des MaaS publics. Mais, les choses vont peut-être un peu changer du fait de la LOM avec l’ouverture des canaux de vente à des tiers à partir de juillet 2021. On commence à voir des acteurs privés qui contactent les collectivités (régions ou grandes villes) pour leur proposer de les intégrer à une plateforme privée qui vendrait des titres de transport. La segmentation proposée par Whim est en fait une tentative de proposer à chaque type d’utilisateur une proposition (services + tarif) qui lui corresponde. Ce n’est pas mauvais en soi si cela permet de proposer à chaque cible un produit adapté, mais il ne faut pas non plus que la compréhension des propositions en devienne trop compliquée. L’objectif du MaaS est de simplifier ! Et les stratégies des MaaS de Saint-Etienne et Mulhouse, basées sur le post-paiement, vont bien dans ce sens : pas besoin de comprendre en amont toutes les possibilités : il suffit d’utiliser, et on est facturé ensuite au tarif le plus adapté.
De même, dans les grandes villes, il faut mesurer l’impact du forfait mobilité durable : on voit de plus en plus de solutions en B2B à destination des employeurs qui peuvent utilement être interfacées aux solutions de MaaS publics comme le Pass’Mobilités à Grenoble.
L.C : Au Cerema, nous défendons le fait que chaque mobilité a sa juste place au niveau spatial et temporel. Pour schématiser, la voiture, en ville, a sa place surtout la nuit, là où il n’y pas d’offres plus pertinentes ou pour des besoins spécifiques d’accompagnement/courses volumineuses.
En zone peu dense, la voiture n’amène pas les mêmes externalités négatives qu’en ville. Au niveau climatique, l’impact est sensiblement le même mais en termes de gêne et de congestion ce n’est pas comparable. Ainsi, réduire l’autosolisme doit être un objectif mais pas forcément le premier dans tous les types de territoires. Par exemple, le syndicat Hauts-de-France Mobilité avait déposé un projet de MaaS il y a quelques années (dans le cadre d’un appel à projet de l’ADEME) dans lequel l’objectif principal était l’inclusion spatiale et sociale. Dans les territoires moins bien desservis, l’objectif premier est de permettre à tout le monde d’avoir une solution de mobilité. Cela peut passer par des solutions qui vont peut-être générer plus d’émissions mais largement compensées par des reports modaux en zone dense.
L.C : En général, même si des acteurs privés proposent des solutions pour une certaine population, les collectivités restent les plus légitimes pour développer un MaaS. À Londres, l’AOM TfL a récemment été obligée de proposer elle-même une solution pour les PMR. Néanmoins, les collectivités cherchent à trouver le meilleur moyen d’impliquer les acteurs privés, et plusieurs réfléchissent à de nouveaux types de partenariats publics privés.
L.C : Je pense que oui. Aujourd’hui, les acteurs privés n’ont pas encore trouvé de modèle économique solide, notamment parce qu’il n’y a pas encore de standardisation, ni d’accès facilité aux services de vente.
Pour les MaaS publics, les collectivités ont effectivement des difficultés de financement. Néanmoins, certains MaaS commencent à émerger parce que des solutions technologiques commencent à être disponibles à moindre coût. Dans d’autres pays, on observe plus de financements nationaux pour aider au déploiement du MaaS et à la fédération des acteurs.
L.C : Les gros réseaux urbains et régionaux ont souvent une billettique lourde reposant sur une carte. Cela ne facilite pas l’interopérabilité avec d’autres solutions de mobilité. Mais depuis quelques années, se développe de plus en plus la billettique légère basée sur un back-office et dans laquelle le support n’a qu’un identifiant (QR code, M-ticket). À l’échelle régionale, ou dans les grandes villes, la plupart des MaaS vont essayer de mixer les deux pour ne pas exclure les grands réseaux de transport mais tirer quand-même parti des avantages de la billettique légère, facilitant l’intégration de services de mobilité basés sur le numérique. Dans les plus petites villes, il est plus simple de tout baser sur de la billettique légère.
Dans le cadre de l’observatoire du MaaS, nous avons creusé la question du covoiturage et plusieurs solutions existent. À Nantes par exemple, Klaxit utilise la carte billettique du réseau de transport Tan : en renseignant le numéro d’abonné sur l’application, alors une tarification avantageuse est proposée.
L.C : Le MaaS a tout à fait vocation à intégrer du TàD dynamique dans son portefeuille de produits, il y a un vrai intérêt. Je suis en revanche un peu surpris que les régions et AOM ne soient pas plus actives dans l’intégration du TàD dynamique dans des offres multimodales de mobilité. C’est sans doute lié au fait que l’outil de TàD dynamique est assez récent.
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